Publié le 20 Juin 2008

Nosu sommes vendredi, le jour où je partage avec vous une nouvelle lettre de Pline Le Jeune, tirée du
recueil "Le temps à
soi", ...
à Sosius Senecion
L’année a été fertile en poètes : le mois d’avril n’a presque pas eu de jour où il ne se soit fait quelque lecture.
J’aime à voir que l’on cultive les lettres, et qu’elles excitent cette noble émulation, malgré le peu d’empressement de nos Romains à venir entendre les productions nouvelles.
La plupart, assis dans les places publiques, perdent à dire des bagatelles le temps qu’ils devraient consacrer à écouter : ils envoient demander de temps en temps si le lecteur est entré, si
sa préface est expédiée, s’il est bien avancé dans sa lecture.
Alors vous les voyez venir lentement, et comme à regret. Encore n’attendent-ils pas la fin pour s’en aller : l’un se dérobe adroitement ; l’autre, moins honteux, sort sans façon et la
tête levée.
Il en était bien autrement du temps de nos pères ! On raconte qu’un jour l’empereur Claude, se promenant dans son palais, entendit un grand bruit. Il en demanda la cause : on lui dit
que Nonianus lisait publiquement un de ses ouvrages. Ce prince quitte tout, et par sa présence vient surprendre agréablement l’assemblée.
Aujourd’hui l’homme le moins occupé, bien averti, prié, supplié, dédaigne de venir ; ou, s’il vient, ce n’est que pour se plaindre qu’il a perdu un jour, justement parce qu’il ne l’a pas
perdu.
Je vous l’avoue, cette nonchalance et ce dédain de la part des auditeurs, rehaussent beaucoup dans mon idée le courage des écrivains qu’ils ne dégoûtent pas de l’étude.
Pour moi, j’ai assisté à presque toutes les lectures ; et, à dire vrai, la plupart des auteurs étaient mes amis : car il n’y a peut-être pas un ami des lettres qui ne soit aussi le
mien. Voilà ce qui m’a retenu ici plus long-temps que je ne voulais.
Enfin, je suis libre ; je puis revoir ma retraite, et y composer quelque ouvrage, que je me garderai bien de lire en public : ceux dont j’ai écouté les lectures croiraient que je leur
ai, non pas donné, mais seulement prêté mon attention.
Car, dans ces sortes de services, comme dans tous les autres, le mérite cesse dès qu’on en demande le prix. Adieu.